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Laetitia Bornes, Le design systémique pour participer à un monde réellement durable

Épisode #76 | Publié le 13 novembre 2024

Laetitia Bornes

Après avoir travaillé pendant 5 ans comme UX/UI Designer pour des secteurs experts variés, Laetitia Bornes a commencé une thèse en octobre 2021 sur le design systémique.

Sa thèse est co-encadrée entre un laboratoire d’interactions humain-machine à l’ENAC et un laboratoire d’ingénierie système à ISAE-SUPAERO.

Son travail nous permet de repenser notre approche du design pour créer des produits réellement durables !

Durant cet échange nous abordons la notion de pensée systémique qui s’oppose au réductionnisme et encourage une vision globale des problèmes.

Vous y découvrirez (entre autres) :

  • Qu’est-ce que le design systémique et comment le prendre en compte dans la création de produits digitaux.
  • Les effets rebonds : des surprises qui peuvent contrecarrer nos bonnes intentions.
  • Comment des plateformes comme Vinted peuvent avoir des impacts dont on n’a pas idée.

Ressources mentionnées durant l’échange :

  • L’entreprise Ovea rencontrée à la conférence GreenITday
  • Rebound Archetypes : les cartes de design pour faciliter des ateliers sur l’identification de potentiels effets rebond et de stratégies pour les combattre
  • Magnitude : outil de modélisation des ordres de grandeur des effets directs et indirects pour comparer des stratégies par la simulation
  • Le livre « Thinking in systems » de Donella Meadows
  • Le livre « Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations » de Pablo Jensen
  • Le livre « Design Journeys through Complex Systems » de Peter Jones et Kristel van Ael
  • Le livre « 58 outils de design systémique » de Sylvie Daumal

Bonne écoute !

Transcription de l'épisode : "Laetitia Bornes, Le design systémique pour participer à un monde réellement durable"

Terry: Salut Laetitia.

Laetitia: Salut Terry.

Terry: Merci de prendre du temps aujourd'hui pour parler de design systémique. C'est un sujet que tu as creusé pendant trois ans. Tu as fait une thèse là-dessus, tu vas nous en dire plus. Ça va être la thématique de l'échange, c'est vraiment de voir un peu comment, dans le digital, ce qu'on fait peut avoir des impacts bien au-delà de ce qu'on imagine. Et aussi essayer de réfléchir autour de ça, à qu'est-ce que ça veut dire de construire des produits plus responsables, plus éco-responsables, vraiment de réfléchir un peu à l'impact réel qu'on a quand on travaille notamment dans le digital. Et avant de rentrer dans le vif du sujet, je te propose d'abord de te présenter.

Laetitia: Merci beaucoup de l'invitation. Donc Laetitia Borne. En fait, moi, j'ai commencé par étudier l'ingénierie des bâtiments et l'architecture avant de me former au design digital. Après ça, j'ai bossé cinq ans en tant que designer UX et dans l'industrie, principalement pour des outils métiers. avant de me lancer dans l'aventure d'une thèse qui, à la base, devait parler de méthodes de conception entre ingénierie et design et qui s'est précisée vers du design systémique. On m'a laissé pas mal de place pour affiner le sujet. En fait, il y a une grosse composante design systémique design responsable, durable, soutenable, et même effet rebond. C'est vraiment le focus de la thèse. Et je vais peut-être préciser qu'elle est co-encadrée entre Dolabo à Toulouse. Donc un labo d'IHM à l'ENAC et un labo d'ingénierie système à Isaei Super Hero. IHM pour Interaction Humain Machine. Et au fond, après le sujet, le sujet cœur, c'est méthode de conception, design.

Terry: Très, très clair. Donc les deux labos en question, donc un labo spécialisé dans l'aviation qui est rattaché à l'école nationale de l'aviation civile. L'autre qui est rattaché à l'école qui a formé Thomas Pesquet. Comme ça, c'est un bon moyen de la présenter. Mais du coup, ils travaillent aussi sur tous les sujets d'espace. Vraiment, ils sont à la pointe de la technologie en ce qui concerne les interactions. Et du coup aussi, j'imagine, ça t'a permis d'avoir accès à différents outils, différentes personnes aussi pour réfléchir sur ces questions.

Laetitia: Oui, alors, en fait, même si c'est une école d'aéronautique et une école d'aviation, la recherche n'est pas forcément, alors c'est un contexte, la recherche n'est pas forcément que sur l'aéronautique et l'aviation, il y a des choses qui concernent l'automobile, enfin voilà, les labos ne sont pas tenus de faire que là-dessus. Maintenant, effectivement, moi j'ai été en contact par exemple avec un groupe de travail à l'ISAE Superhero qui s'appelle ACE, Aviation, Climat, Environnement, où justement on se posait des questions de l'avenir du système sociotechnique de l'aviation. Est-ce que la croissance du trafic peut continuer ? Des questions comme ça. Donc, ça m'a donné un peu de contexte. Et côté ENAC aussi, en fait, on a eu ces réflexions-là sur quels sont les usages et pratiques de l'aviation de demain, etc. Mais moi, au fond, c'est pas que là-dessus. C'est les méthodes de conception pour des systèmes sociotechniques, que ce soit l'aviation ou d'autres.

Terry: OK, du coup, si on devait commencer à définir, en tout cas avec tes mots, pour des néophytes, qu'est-ce que ça veut dire quand on parle de systémie ? Qu'est-ce que c'est que la pensée systémique et après, du coup, appliquée au design ?

Laetitia: Ok, je peux faire en version longue ou assez courte ?

Terry: Prends le temps que tu veux.

Laetitia: Ok, ça marche. Alors, le design systémique, ça vient du rapprochement entre la pensée systémique et les méthodes de design. La pensée systémique, c'est quelque chose qui remonte aux années, on va dire dans les années 50, même si on peut y donner différentes dates de début. Et en fait, ça s'oppose au réductionnisme. Le réductionnisme, c'est le fait d'avoir découpé les choses en plein de petites spécialités, des disciplines très spécialisées. Ça a permis de faire des grandes découvertes en physique, en mathématiques, ça a permis de faire plein de grandes avancées scientifiques. Mais ça suppose qu'on puisse couper un problème en plus petits problèmes et qu'en résolvant ces plus petits problèmes, on arrivera à faire une solution pour le grand problème. Donc ça, ça marche pour des choses spécifiques, assez techniques, assez pointues. Ça marche beaucoup moins pour les choses qui impliquent des choses sociales, par exemple. Ça ne marche pas dans tous les cas. Et en fait, dans les années 50, on va dire, il y a plusieurs disciplines différentes, des chercheurs de disciplines différentes qui se sont rendus compte qu'en fait, il y avait des choses en commun et ils pouvaient utiliser un vocabulaire commun pour décrire des phénomènes dans leurs différentes disciplines. Par exemple, en biologie, pour décrire une cellule du corps humain. En sociologie, pour décrire une société. Ou en management, pour décrire une entreprise. ou même pour décrire un thermostat qui va régler la température d'une pièce. Donc en fait, ce vocabulaire commun, ça parle de stock, de flux, de boucle, de rétroaction, je ne vais pas rentrer dans le détail, mais en fait toutes ces choses-là pouvaient être utilisées de manière transverse à leur discipline. Et de là, il y a eu plusieurs courants de pensée systémique, Le premier qu'on peut rétrospectivement appeler « hard system thinking », comme hardware et software, ça va être vers le début et ça va être une façon de modéliser le monde. avec ses principes de stock et flux, etc. Modéliser une entreprise, modéliser carrément les dynamiques mondiales. C'est ce qu'ils ont fait, en fait, dans le rapport du Club de Rome, qui a fait l'ouvrage Les Limites à la Croissance. qui montre que dans un monde avec des ressources finies, on ne peut pas avoir une croissance économique infinie. Ça, c'est basé vraiment sur un modèle où ils ont vu plein d'experts dans le monde et ils ont essayé de mettre ça sous forme en manière d'équations et de le modéliser. Après ça, on a eu une seconde vague, on va dire, qui s'appelle le Soft System Thinking, qui regroupe plein de petites branches, je passe les détails. où on s'est dit que c'est presque réducteur, en fait, de vouloir modéliser le monde. Ça dépend comment on utilise ces modèles-là, en tout cas. Et qui consiste plutôt à se dire, OK, en fait, on a tous une approche au monde où on se fait des modèles mentaux, des situations. On comprend le monde via nos propres modèles. Et c'est quelque chose qu'il faut reconnaître, qu'il faut rendre explicite si on veut permettre aux gens de travailler ensemble. Donc, par exemple, c'est plus ça va être un second niveau, on va dire, de pensée systémique qui est plus sur la façon dont les gens interagissent, la façon dont les organisations peuvent fonctionner, donc c'est plus au niveau du management et tout ça. Et après, on a le critical systems thinking qui est porté par un monsieur qui s'appelle Michael Jackson et qui ne fait pas de musique, c'est un autre, et qui est toujours vivant d'ailleurs. Et là l'idée c'est de dire, bon il y a les deux courants comme je parlais, hard et soft system thinking, il y en a même plein d'autres branches, et lui il dit voilà en fait les différents courants de pensée systémiques, et en fait il faut les combiner quand on fait face à des problèmes complexes. La meilleure approche, c'est justement de combiner plusieurs visions pour pouvoir avoir la vision pas réelle jamais, mais la plus complète possible pour pouvoir amener à des décisions.

Terry: Le.

Laetitia: Design systémique, c'est le rapprochement de ces deux. Moi, je le connais surtout via une communauté qui est regroupée autour d'une conférence qui s'appelle RSD, Relating Systems Thinking and Design, qui a été fondée dans les années 2010 par Peter Jones, notamment, et Birger C. Valton. Et en fait, c'est un fourmillement de plein de méthodes, d'outils qui sont un peu à la croisée de ces deux mondes. Il y a aussi de la prospective, il y a aussi des outils de design spéculatif, des choses autour des valeurs. Mais disons que Principalement quand même dans cette communauté, ce que je constate, c'est que c'est beaucoup plus le croisement entre design et soft system thinking que le design et hard system thinking. Et moi, c'est un truc que j'essaie d'apporter, de dire si on veut pouvoir compléter, il y a aussi la modélisation ne doit pas servir à tout, mais elle peut être utile en certains cas.

Terry: Très clair. Du coup, l'idée, c'est qu'ensuite, on rentre dans l'aspect plus pour l'écosystème tech. Et justement, qu'est-ce que ça veut dire que penser au système systémique quand on design des produits digitaux ? Puisque aujourd'hui, un peu, on va dire déjà, on voit tous qu'on peut avoir un impact énorme via le digital. Tu prends des boîtes comme LegaFam, un peu le classique, le feed Facebook qui va être géré peut-être par une dizaine d'ingénieurs dans la Silicon Valley mais qui va impacter en fait des milliards de personnes et donc avoir en fait cette relation où tu as très peu de gens qui peuvent aussi avoir une influence énorme sur une masse. C'est en général, là c'est un avis personnel, mais je pense que c'est jamais bon quand il y a ce genre de situation. Et en même temps, c'est l'état actuel des choses. Et donc, de ce fait, il y a aussi beaucoup d'actions indirectes qui peuvent être causées par ces produits digitaux qu'on va utiliser au quotidien. auxquels on ne penserait pas naturellement, mais qui pourraient en fait avoir, et là je te laisserai aussi rentrer dans le détail de ce que tu appelles les effets rebonds, des effets négatifs par rapport à ce qu'on pensait initialement. Je sais que tu as en particulier utilisé Vinted pour expliquer pas mal de choses autour de ça, donc je suis curieux de savoir, Vinted pour ceux qui n'utiliseraient pas ou ne connaisseraient pas, c'est une application qui permet de vendre des vêtements de seconde main pour éviter à la base un peu le message marketing derrière c'est de dire on est dans l'économie circulaire et du coup comme ça on surconsomme pas on va pas acheter des nouveaux vêtements sans arrêt c'est un peu le message la promesse de base mais je te laisse un peu peut-être déconstruire ça du coup par rapport à.

Laetitia: Ton sujet de recherche Oui, ça marche. Alors déjà, pour faire le lien avec le design systémique, effectivement, le mot systémique et le mot design systémique, ça peut avoir plein de sens selon d'où vient la personne qui l'utilise. Mais c'est vrai que Ce dont je me suis rendu compte pendant ma thèse et ce dont je suis convaincue, c'est qu'avoir une approche systémique quand on parle d'un produit ou service numérique, c'est effectivement, comme tu le dis, se poser la question des effets directs et indirects à plein d'échelles et de temporalité. Donc, effectivement, si je pense à Vinted, on va avoir cette promesse. Alors, ce n'est pas tout à fait la raison d'être initiale de Vinted, c'est-à-dire que j'ai regardé et puis en fait, la créatrice du Vinted, c'est plutôt parce qu'elle a déménagé dans un appartement plus petit et qu'elle a voulu vendre des vêtements, qu'elle a créé Vinted à l'origine. Mais maintenant, c'est vrai qu'il communique sur le fait que la seconde main a un meilleur impact sur l'environnement que d'acheter du neuf. Bon, alors en fait, ça, ça peut être vrai si on regarde que les impacts directs. Donc, si je regarde uniquement les transports des colis, les impacts liés aux infrastructures numériques pour que Vinted fonctionne, l'énergie utilisée par les utilisateurs, etc. et les impacts directs au niveau des opérations, donc les locaux de Vinted, les employés, etc. Si je ne regarde que ça et les effets indirects positifs attendus, c'est-à-dire le fait que beaucoup d'utilisateurs vont, grâce à Vinted, acheter de la seconde main à la place du neuf, alors on arrive à un résultat de, je crois, 1,8 kg de carbone équivalent par produit acheté économisé grâce à Vinted. Ça, je le sors d'une étude qui a été menée par une entreprise qui s'appelle Vayu pour le compte de Vinted en 2021. Et ils ont effectivement regardé les impacts directs de Vinted et les effets indirects positifs qu'on appelle « avoided emissions », donc les émissions évitées grâce à Vinted. Donc là, qu'est-ce qu'on fait pour étudier ça ? En fait, on fait une grosse enquête. Ils ont interrogé, je crois, plus de 350 000 utilisateurs et ils ont fait une étude qu'on appelle conséquentielle. Donc l'idée c'est d'essayer de comparer les impacts d'un scénario où Vinted existe avec un scénario où Vinted n'existe pas. Ce scénario-là étant fictif puisque Vinted existe. Donc on est obligé de le reconstruire. Donc pour ça en fait la question de base c'est qu'est-ce que vous auriez fait si Vinted n'existait pas ? Dans cette étude, on a 39% des gens qui disent effectivement, si Vinted n'existait pas, cet article, je ne pense pas que je l'aurais acheté de seconde main ailleurs, sur leboncoin, je pense que je l'aurais acheté neuf. Donc là, dans ces 39% de cas des achats, Vinted a permis, grâce à son existence, d'économiser la fabrication d'un nouveau vêtement, si tant est que le vêtement sur la plateforme ait été acheté d'occasion, parce qu'il y a des vêtements sur la plateforme qui sont marqués comme neuf avec étiquette ou presque neuf. Donc, dans cette étude, ils montrent qu'en 2021, ils ont permis d'économiser, je crois, 450 kilotonnes de carbone, équivalent à un truc comme ça. En fait, en général, dans le numérique et ailleurs, mais dans le numérique, il y a vraiment ce narratif de twin transition. Le numérique, c'est vrai, a des impacts croissants, mais il va permettre dans d'autres secteurs de décarboner, typiquement dans l'agriculture. Mais là, voilà, l'exemple de Vinted, c'est ça, c'est bon. Effectivement, j'ai des impacts propres à Vinted et à son fonctionnement. Mais regardez, grâce à Vinted, les gens ont acheté plus de secondes mains et moins de neuf. Donc, mes impacts directs sont compensés par les impacts positifs que j'ai fait dans les autres secteurs. En fait, en général, on prend en compte dans ces discours-là et dans ces calculs-là, l'évidence, c'est vrai, les impacts directs, et le positif, les effets indirects positifs. Le fait d'avoir réussi à convaincre les gens d'acheter de la seconde main à la place du neuf. Si on gratte un petit peu, et si on veut avoir une vraie approche systémique à ce problème-là, on se rend compte que d'une part, Grâce à leur étude, on le voit, il y a, il me semble, 30% des personnes qui disent que si Vinted n'existait pas, en fait, ils n'auraient pas acheté cet article parce qu'ils étaient en train de scroller. Donc ça, c'est de l'achat compulsif et ça, il faut le comptabiliser. Il y a des personnes, en fait, qui, par l'existence de Vinted, comme elles savent qu'elles vont pouvoir très facilement revendre des vêtements vont acheter beaucoup plus de vêtements neufs. Donc en fait, on fait un appel d'air à la fast fashion. En fait, il y a une chercheuse qui s'appelle Elodie Juge, qui l'a bien décrit dans sa thèse et dans des papiers, qui a fait une étude longitudinale sur... des utilisatrices de Vinted, qui sont aux soins des femmes. Et en fait, effectivement, on a ce phénomène où, comme je peux très facilement revendre presque au même prix des vêtements sur Vinted, je vais pouvoir acheter de plus en plus de vêtements issus de la fast fashion. Et on a d'autres effets indirects plus difficilement quantifiables qui vont être par exemple l'impact sur les associations caritatives comme Emmaüs. Il y a eu une grosse campagne de la part d'Emmaüs sur le fait qu'ils ont des dons en grosse perte de quantité et de qualité et qu'ils sont en difficulté à cause de ça. Ils avaient même fait un compte emma.us sur Vinted pour dénoncer un peu le fait que maintenant, comme c'est si facile de vendre ses vêtements, les gens ne font plus le geste d'aller les donner à Emmaüs. Donc en fait, si on veut vraiment comprendre l'impact à l'extérieur de la solution digitale qu'on propose, mais qui va avoir des conséquences sur le design de cette solution, c'est intéressant de faire une étude comme celle-ci et de prendre en compte ces différentes strates. Pour moi, il y a différentes définitions du terme « effet rebond » selon la communauté dans laquelle on se situe. Souvent, c'est présenté comme en fait, une conséquence indirecte qui va à l'encontre de l'intention initiale. Moi, je n'aime pas trop cette définition-là parce qu'en fait, l'intention initiale, on ne la connaît pas si ce n'est pas nous qui avons fait la solution numérique. En l'occurrence, a priori, l'intention initiale de Vinted, ce n'était pas d'avoir un impact positif sur l'environnement. Mais du coup, de manière plus générale, je trouve que c'est un peu délicat. de réduire l'effet rebond juste à quelque chose qui contrecarre une intention initiale. Et parce que moi je me situe dans une analyse des effets rebonds qui a pour but de prendre des décisions, améliorer un design pour limiter ces effets rebonds, je préfère avoir une définition plus large. Et du coup, je dis c'est toutes les conséquences indirectes qui peuvent avoir un impact négatif social ou environnemental. Conséquences indirectes étant donc autre chose que l'impact direct d'un produit, comme je le disais, ou un service. Donc voilà, les transports, les locaux, etc. Toutes les conséquences indirectes, c'est plutôt les conséquences qui sont liées à un changement de comportement.

Terry: Quand tu parles des conséquences indirectes, tu mets en avant plus le changement de comportement dû au produit ou au service que tu as développé que l'opération de ce service, c'est ça que tu veux dire, ou de ce produit. C'est-à-dire que se concentrer non pas sur c'est quoi l'impact des 200 ingénieurs qui bossent au siège de Vinten, mais plutôt ce qu'ils ont développé là comme produit, l'impact derrière que ça a sur ceux qui l'utilisent ce produit.

Laetitia: Oui, exactement. Et c'est vrai que ça marche très bien pour Vinted, où il y a une communication autour des impacts positifs environnementaux. Et moi, j'ai étudié ce cas-là parce que, en fait, cette énorme étude de Vayu, elle existait, elle avait le mérite d'exister, d'être assez bien faite. Mais disons que même quand mon objectif ou ma communication n'est pas nécessairement sur mes impacts positifs indirects, j'ai souvent, enfin voilà, beaucoup de solutions numériques vont avoir des effets indirects, qu'ils soient conscients ou pas.

Terry: Du coup, la prochaine question à laquelle ça m'amène, c'est-à-dire là t'as posé clairement le décor, du coup on peut se dire, wow, en fait je pensais faire des choses bien en utilisant cette app, ou là je suis en train de développer tel produit, et justement un peu dans la même lignée d'économie circulaire, etc. J'ai absolument pas pensé à tout ce que tu viens de dire. pour essayer de voir le verre à moitié plein. Comment réfléchir pour prendre un peu plus tout ça en compte quand on essaie d'innover avec le digital ? Est-ce que tu as des recos, des façons d'approcher les problématiques auxquelles on essaie d'apporter des solutions pour éviter de tomber dans ces travers-là ? Même si on ne peut pas penser à tout en amont, il y a toujours une part d'incertain, mais c'est quoi ta réflexion là-dessus ?

Laetitia: Déjà, il ne faut pas se flageller. Je pense qu'en fait, quand on veut faire un produit, un service, une solution, quelque chose avec un impact positif, on est bien intentionné et c'est déjà un premier super pas. Pour tous ceux qui ont fait ce pas-là ou qui ont des clients qui veulent faire ça, qui sont designers et qui ont des clients qui veulent lancer un produit à impact, etc. Si vous avez les moyens de prendre le temps, de réfléchir aux effets rebonds, ça vaut le coup quel que soit le niveau où on se situe. De préférence très en amont, au début du design, presque au moment de décision stratégique. Mais ça peut aussi être le cas dans le cas d'une refonte. Je l'ai fait avec des designers, malheureusement pas de Vinted, parce qu'ils n'ont pas souhaité répondre, mais avec d'autres designers au cours d'ateliers, on a réfléchi comment on pourrait améliorer Vinted si on voulait vraiment réduire les effets rebonds. Et il y avait plein d'idées et de solutions à combiner. au niveau vraiment du design de la plateforme, du design de service, du business model, et même on peut aller rêver et dire on pourrait aussi aller faire du lobbying pour avoir des réglementations qui seraient dans la bonne direction et qui seraient favorables aussi à Vinted. Donc ce que je conseille c'est déjà de ne pas se flageler, il est toujours temps de se poser la question des effets rebonds. Et après, selon les moyens qu'on a, la première chose c'est d'essayer, si c'est en amont, d'anticiper ce qui pourrait y avoir ou si c'est midway, on dit, c'est-à-dire la solution est déjà développée et on ferait plutôt une refonte. Est-ce qu'on peut en observer ? Est-ce qu'on peut même les mesurer ? Pour tout ce qui est anticipation, moi j'ai développé des cartes dans le cadre d'un projet avec l'université de Lancaster qui sont disponibles en ligne. Et en fait il y a plein de types d'effets rebonds et on peut regarder un peu ces cartes-là, réfléchir à toutes les personnes qui seront en organisation ou non humain. qui seront en contact avec notre produit ou service, ou qui pourront être affectés par ce produit ou service, et voir est-ce qu'il y a des effets rebonds qui peuvent s'appliquer.

Terry: Quand tu dis des cartes, du coup c'est...

Laetitia: C'est vraiment des cartes à jouer. C'est pas des cartes à jouer avec un mécanisme de jeu, mais c'est des cartes plus parce que c'est un format sympa en atelier en fait, plutôt qu'un gros rapport, un gros document. Exactement. Donc... Ça, c'est pour essayer d'imaginer tous les effets rebonds possibles en anticipation ou d'essayer d'orienter la recherche. S'il n'y a pas eu déjà d'analyse des effets rebonds existants, essayer de voir qu'est-ce qui peut s'appliquer pour aller enquêter sur est-ce que cet effet rebond existe ou pas via, par exemple, des sondages ou de l'observation, etc. Et après, une fois qu'on a conscience, on ne pourra jamais connaître en avance tous les effets rebonds possibles, ou connaître en avance les effets rebonds possibles de notre future intervention. Admettons, là je bosse pour Vinted, on fait une refonte, je change le design, je pourrais générer d'autres nouveaux effets rebonds. En fait, je pense qu'il y a une différence entre chercher à tout anticiper de manière sûre et faire l'autruche. Il y a un juste milieu entre les deux. Je pense que si on veut avoir un impact positif, on a la responsabilité de se poser la question des effets rebonds. Et après, il y a différentes façons, après, une fois qu'on a constaté, anticipé plusieurs possibles effets rebonds, on peut se dire, en fait, ils ne sont pas très graves, ils sont assez peu probables. Je vis avec le risque, voilà, ou je dois redesigner ma solution ou je vais essayer de mettre des garde-fous, je vais essayer de mettre des petites stratégies en place pour les limiter.

Terry: Du coup, j'allais te poser la question en fait. Donc première étape très claire, la prise de conscience, c'est pas se dire c'est tout foutu, c'est pas la peine d'en tenir compte et pas non plus se dire faut que je pense à tout. On commence à se poser la question, on commence à voir des choses. Une fois qu'on a commencé à voir des choses, du coup, est-ce que tu as des métriques sur lesquelles on peut se baser ou qui existent déjà, qui permettraient derrière d'évaluer effectivement l'impact positif ou négatif pour derrière permettre de décider si, OK, il y a cet effet rebond là, j'en ai connaissance, mais par rapport au business plan de base, par rapport à ça, Je sais qu'il est là, mais je considère que pour le moment, ça ne vaut pas la peine qu'on se soucie de celui-ci, mais plutôt de celui-là. Donc des métriques vraiment pragmatiques qui permettent de suivre ça. Est-ce que ça existe déjà ?

Laetitia: Alors, des métriques en anticipation des faits rebonds qui ne sont pas encore courants pour une nouvelle solution, non pas à ma connaissance. Je sais qu'il y a Il y a un groupe de travail, un projet européen qui s'est monté récemment à Copenhague sur le sujet des effets rebonds où ils essaient de faire des choses assez génériques qu'on pourrait appliquer à différents cas et qui souhaite bosser avec la modélisation comme je le fais. Mais il me semble que dans leur cas, c'est vraiment à l'échelle d'un secteur. C'est plus sur des comportements de consommation, sur l'agriculture en entier, etc. Moi, j'ai plus un focus organisation parce que dans ma thèse, c'est le niveau de décision auquel je me suis intéressée. Et du coup, pour moi, il n'y a pas de métrique en anticipation. C'est plus faire intervenir des personnes qui ont une bonne connaissance de ce marché. Pourquoi pas compléter avec, oui, une étude en amont. Essayer d'observer, par exemple, avec des living labs ou des choses comme ça. Disons que des métriques génériques, je ne pense pas en amont. Tu peux par contre faire des hypothèses et te dire si 30% des gens avaient ce comportement-là, à hauteur de ça, est-ce que ça reste OK ou est-ce qu'on commence à avoir un impact trop négatif ? Tu peux faire des hypothèses. Mais voilà, je pense qu'il faut se baser sur des hypothèses et mettre les bonnes personnes dans la pièce surtout, c'est ça qui va être important. Et après quand on est en cours, c'est-à-dire pour le cas de Vinted par exemple, où on peut faire une enquête, sur les effets rebonds actuels et leur amplitude, leur ordre de grandeur. Là, on peut passer après par de la modélisation. C'est ce que j'ai fait par exemple dans ma thèse avec les designers. On a développé un outil dans mon labo pour faire de la modélisation comme ça. collaboratives, où c'est un des principes de boite et de flèche, mais on va dire ok pour chaque vente, il y en a combien de pourcent qui part en achat compulsif, enfin qui est de l'achat compulsif, combien de pourcent qui est du remplacement de neuf par de la seconde main, etc. Et ensuite tester des stratégies en regardant si j'appuie sur ce levier là, donc comment je peux combiner plusieurs stratégies pour réduire ces effets rebonds. tout en garantissant que mon organisation, mon entreprise, elle reste viable. Sachant que, de toute façon, pour faire ce genre de démarche, il faut partir du principe que tu n'es pas attiré que par le profit. Si ta seule métrique c'est le profit, alors tu sais, tu perds du temps de faire ça.

Terry: C'est pour ça que je pose la question sur les métriques, parce que typiquement, par exemple, ce qu'on voit autour des taxes carbone. Et du coup, aujourd'hui, tu as plein de startups qui se montent sur comment aider les entreprises à mesurer leur impact CO2, tout simplement, parce que derrière, au niveau législatif, tu as des régulations qui vont forcer les entreprises à dire quel est leur impact, bien positif ou négatif à ce niveau là. ça paraît des fois être du coup overkill mais malgré tout nécessaire parce que si t'as pas ça plus la réglementation et la métrique à suivre bah tu peux difficilement après tu vois influer un changement beaucoup plus large donc c'est pour ça que je posais cette question sur les métriques mais c'est intéressant de voir effectivement aujourd'hui il n'y a pas de consensus global en tout cas sur une.

Laetitia: Métrique particulière Non, et en fait déjà, moi j'appelle vraiment à l'approche systémique, c'est d'essayer de ne pas réduire les choses à une métrique. Alors, les métriques sont utiles, encore une fois, c'est comme les modèles. C'est utile, mais ça ne peut pas se suffire, parce qu'en fait, les métriques amènent à des réorganisations qui souvent provoquent des effets rebonds. Donc, il y a un effet rebond qu'on appelle l'effet Cobra. qui vient de l'époque où il y avait l'emprise britannique sur l'Inde et où il y avait apparemment un problème de cobras trop nombreux à Delhi. Et en fait, le gouvernement britannique a dit, pour chaque cobra mort qu'on nous ramène, on donnera telle somme d'argent. Et en fait, ils se sont rendus compte, au fur et à mesure, que le problème des cobras ne se réglait pas. Et ils se sont rendus compte qu'il y avait des gens qui élevaient des cobras pour les tuer, pour les ramener, pour gagner l'argent. Et en fait, c'est des mécanismes... C'est le risque, en fait, quand on veut se baser que sur une métrique. Donc après, ils ont évidemment arrêté de récompenser les cobras morts et les gens ont lâché dans la nature les cobras qu'ils avaient élevés, qui ne servaient plus à rien. Donc vraiment, on est sur du contre-productif. Ça, c'est un type d'effet rebond. lié à une sorte de régulation qui serait une métrique. Moi, ce que j'espère, aujourd'hui, ma recherche est plus orientée vers des sociétés à mission qui disent, on veut être évidemment viable économiquement, mais on veut aussi avoir tel ou tel impact sur la société, en dehors de notre entreprise. ou vers les choses publiques, les ONG, etc., en espérant qu'un jour ou l'autre, il soit demandé, mais on est dans cette direction-là, qu'il soit demandé de plus en plus aux entreprises de justifier non pas de chiffres sur leur réduction de carbone, mais de justifier d'une démarche de justifier que dans leur prise de décision stratégique, il n'y ait pas seulement le profit, mais qu'ils se soient donné les moyens de regarder leurs impacts directs et indirects et qu'ils se donnent les moyens de les réduire.

Terry: C'est intéressant parce que là, ça change complètement. Ce que tu dis, ça change vraiment le paradigme aujourd'hui, car en tout cas, dans les boîtes tech, on a des métriques très haut niveau, ce qu'on appelle les OKR. Après, on le décline pour Objective Key Result tout en haut de la société en général. ce qu'on appelle la North Star Metric, la direction vers laquelle on va aller. Ensuite, tu as les OKR qui permettent de décliner ça à chaque trimestre. Ensuite, tu as les métriques, les KPI, l'Equipe Performance Indicator que tu vas suivre ensuite à chaque pôle, chaque équipe, pour voir justement chaque individu. pour voir l'avancée par rapport à ça. Donc toi, ce que tu dis, c'est que la tendance que tu espères que tu commences à voir venir est plus une tendance où on ne va pas se poser la question d'avoir ses valeurs construites sur un dashboard, mais plutôt se dire est-ce qu'on a une obligation de moyens de penser les choses ? Mais d'un point de vue, est-ce qu'on a fait l'effort de Et ensuite, c'est plus une question derrière. À partir du moment où tu as cette obligation-là, effectivement, c'est plus difficile de justifier. Oui, j'ai fait l'effort de penser à ça, mais j'ai fait complètement le contraire. Ou de dire j'ai fait l'effort d'y penser alors que tu as fait complètement le contraire. Ça veut dire que soit tu es vraiment de mauvaise foi. Mais après, c'est un sujet intéressant parce qu'aujourd'hui, c'est absolument pas comme ça, en tout cas dans les boîtes technologiques, que les choses fonctionnent. Donc je pense que ça viendra plus par le public, les ONG, qui n'ont pas ces enjeux de résultats très court terme. Mais en tout cas, c'est intéressant de poser la question, de poser le débat, parce qu'indirectement, la question que je t'ai posée sur la métrique, en fait, ça va à l'encontre de la démarche complète. Parce que si on commence à revenir, comme tu le disais, sur suivre une métrique, en fait, tu l'as très bien dit, on risque de retomber dans d'autres effets rebonds, comme l'analogie avec avec le cobra. Mais du coup, ça m'a fait penser à quelque chose par rapport à ce que tu disais avec l'effet cobra, sur l'aspect sociologique. Est-ce que tu as étudié ça en fait, les comportements humains aussi, dans ta thèse en fait, sur prendre en compte ça, prendre en compte comment l'humain réagit et comment ça s'intrigue dans tout ce que tu viens de dire.

Laetitia: Oui, alors, pas assez du tout, en fait. C'est un peu un regret que j'ai, mais en même temps, c'était déjà une thèse assez pluridisciplinaire, ce qui n'est pas toujours facile à gérer parce que disons qu'il y a plus des autoroutes pour faire des thèses très spécialisées, en fait. Et du coup, je n'ai pas vraiment de composante qui me légitime sur le point de vue sociologie. Et je le regrette du coup, les comportements du point de vue de ma thèse, c'est vraiment sous l'angle des effets rebonds. que je les ai intégrées, alors qu'effectivement, c'est un peu réducteur de faire ça, mais à un moment donné, il faut aussi pouvoir manipuler des choses qu'on peut attraper. En fait, je pense que encore mieux que de juste craindre des effets rebonds, il faut aussi espérer et chercher des effets systémiques positifs. Et ça, je pense que c'est quelque chose auquel je m'intéresserais à l'avenir. Mais c'est vrai que pour l'instant, dans le cadre de la thèse, je me suis surtout basée sur le peu qu'on a quand même en design dans nos... les petites cordes qu'on a à notre arc, qui sont empruntées un peu de l'ethnologie, etc., quand même en design, et l'observation des comportements sous l'angle des effets rebonds. Mais je pense qu'il y a beaucoup plus à faire, ça semble long, trois ans en fait, c'est super court.

Terry: Non, mais c'est hyper intéressant ce que tu dis aussi. Du coup, là, ce vers quoi tu voudrais aussi aller, c'est penser plus plutôt que de penser. Donc, le constat, c'est bien, ça permet de l'opposer, c'est ton travail. Mais maintenant, c'est de dire plutôt que de penser à éviter des effets rebonds, penser à comment avoir des impacts systémiques positifs. Ça, je trouve que c'est assez intéressant. J'aimerais bien continuer l'échange là-dessus, sur justement comment essayer de faire, comment penser les choses de cette manière, parce que c'est aussi plus positif. Plutôt que de se dire merde, je fais ça, ça impacte ça, etc. Tu peux vite tomber dans le truc. C'est la catastrophe, quoi. Moi, je préfère qu'on voit les choses, le verre à moitié plein et comment on va de l'avant. Mais du coup, en prenant en compte les choses réelles aussi, sans juste être au pays des bisounours. Et donc, comment justement penser les choses de manière systémique positive ? Est-ce que tu as des exemples concrets ? Est-ce que tu as aussi, je ne t'ai pas demandé, des sociétés aujourd'hui qui fonctionnent un petit peu plus de cette manière, des retours d'expérience que tu pourrais partager ? Tu mentionnais les entreprises à mission. Alors, sur les entreprises à mission, moi, j'ai un peu Je suis un peu dubitatif parce qu'en fait, une entreprise à mission, alors elle l'inscrit dans ses statuts juridiques, en tout cas en France, c'est comme ça que ça fonctionne, qu'elle est à mission, elle dit quelle est sa mission. Et alors, en général, un comité de pilotage avec des salariés en interne, plus ou quelques personnes externes qui viennent pour vérifier plus ou moins. Mais ça reste, c'est bien, c'est mieux que rien, mais ça reste les balbutiements. D'un point de vue pilotage stratégique, ça ne va pas avoir un impact aussi fort que si ton PNL, il est négatif d'un trimestre sur l'autre. Mais c'est quand même mieux que rien. Mais du coup, malgré tout, je suis curieux de savoir si tu as des exemples d'entreprises positives qui ont cette démarche de penser les effets rebonds positifs et les clés que tu pourrais donner à d'autres qui voudraient amener ça aussi dans leur boîte.

Laetitia: Pour revenir sur effets rebonds et après effets systémiques positifs, en fait, Effectivement, je pense que c'est juste que pour l'instant, à mon avis, on en est au stade où il y a beaucoup de gens qui ne sont pas au courant des effets rebonds. Et du coup, je pense que c'est important d'insister là-dessus, mais je pense que plus tu te formes, en fait, plus tu commences à comprendre ce que sont les effets rebonds, plus tu les vois un peu partout, pas seulement dans ton métier ou voilà. Parfois dans ta pratique, tu te dis, je vais faire une petite parenthèse, mais par exemple, J'ai passé trois mois à Lancaster, en Angleterre, dans le cadre de ma thèse. Et j'avais eu aussi une touche avec un labo en Australie. Et puis je m'étais dit, bon, lobby d'avion jusqu'en Australie, quand même, c'est beaucoup plus d'impact, etc. Et en fait, après coup, et à force d'avoir vraiment de plus en plus focalisé ma thèse sur les effets rebonds, Je me suis dit, mais en fait Laetitia, t'es allée dans le nord de l'Angleterre, ce qui était beaucoup moins loin. Bon, j'y suis allée en voiture pour des raisons, parce que j'étais avec mon compagnon et mon chien et toutes nos affaires, bref. Et pas en train. Mais en fait, en gros, l'impact direct était 40 fois moins important que d'aller en Australie. Par contre, le fait d'être là-bas, ça a fait qu'on a pu avoir de la famille qui est venue nous voir, des amis qui sont venus nous voir. Et en fait, j'ai compté tout ça. Et finalement, ça devenait seulement trois fois moins ou quatre fois moins que d'être allée en Australie. Mais en Australie, on aurait aussi fait plus de bornes. Donc en fait, quand on commence à avoir cette logique-là, c'est la logique conséquentielle. D'essayer de voir avec quel autre scénario je compare les prises de décisions que j'ai faites. Je pense que quand on commence à avoir cette logique en tête, et les différentes échelles auxquelles on peut agir dans une organisation, et les différentes échelles d'impact, en fait, on ne voit plus que les effets rebonds négatifs, on voit les potentiels positifs aussi. Je pense que c'est une deuxième étape, mais en fait, aujourd'hui, l'urgence, il me semble, c'est vraiment de sensibiliser sur les effets rebonds. Ensuite, sur les entreprises qui ont déjà une démarche comme ça, je regrette de ne pas avoir trop d'exemples. En fait, moi je suis un peu à la fin de ma thèse où j'ai essayé de faire le grand écart entre le monde académique et le monde pro, au moins pour essayer de concevoir des outils, des méthodos qui peuvent servir vraiment aux designers, qui soient utilisables pour eux. Mais je n'ai pas assez été en contact avec des entreprises intéressées pour l'instant pour te donner des exemples de gens qui pourraient utiliser par exemple la méthode que je propose directement dans leur stratégie. Après c'est vrai que dans la recherche souvent tu essaies de faire des trucs un peu en anticipation J'espère que ça se généralisera. De toute façon, au bout d'un moment, on n'aura plus le choix. Mais voilà, je suis un peu à sec. Après, c'est vrai qu'il y a les... Je pense que toutes les... les boîtes qui sont dans l'open source d'un côté ou des coopératives de l'autre sont, entre guillemets, des prospects pour cette méthode O, mais je n'ai pas d'exemple particulier pour le moment.

Terry: Pas de souci. Et du coup, ce que tu dis là, par rapport, pour voir les choses aussi de manière positive, tu dis qu'en ayant conscience, en fait, de l'aspect négatif des effets rebonds, ça va automatiquement aussi faire basculer sur penser aussi d'un point de vue positif, qu'est-ce qu'on peut faire d'un point de vue systémique, du coup, au niveau des entreprises. Sur les sociétés très tech, je prends le cas classique, mais j'ai beaucoup de personnes comme ça sur mon podcast. Moi, j'évolue dans cet écosystème-là, notamment des SaaS, des software as a service. C'est vraiment des pure players du digital, ce qu'on appelle. C'est quelque chose qui a besoin d'un peu d'humains, mais après, qui arrivent à s'autoporter. L'idée, c'est de passer à l'échelle très très rapidement par le fait que le logiciel fait le travail d'humain et donc tu n'as pas de contraintes humaines pour grossir. Est-ce que cette démarche-là, la démarche de penser de cette manière, ce qu'on appelle dans le monde des startups, le 10x, c'est-à-dire j'arrive à grossir très vite sans grossir ma masse salariale, c'est un peu le graal dans le monde startup parce que c'est ce que cherchent les investisseurs. Au départ, ça coûte beaucoup d'argent, mais après, une fois que j'ai trouvé le bon mode opératoire, le bon mode de fonctionnement, je vais juste avoir plus de clients sans rajouter plus de ma salariale et du coup je vais faire plus d'argent. Est-ce que en fait ça, pour toi, ça peut pas fonctionner de base avec une logique sur laquelle on voudrait penser beaucoup plus systémique, positif et éviter du coup d'avoir des effets rebonds négatifs ? Ou est-ce qu'on peut trouver un lien entre les deux ? Et si ça ne peut pas marcher comme ça, phase de transition, comment tu la verrais ?

Laetitia: Alors, en fait, je vais avoir du mal à faire une réponse générique parce que je pense que ça dépend vraiment du contexte. En fait, un effet indirect pourrait être un effet rebond peut-être positif. Ça vient un peu en encontre avec ma définition du début, mais disons qu'un effet d'emballement peut être positif. Par exemple, si... Je crois que c'est Gauthier Rossi qui m'avait donné cet exemple, bref. Si les gens se mettent à faire du vélo de plus en plus, plus ils font de vélo, plus ils sont fit, plus ils vont remplacer d'autres choses par du vélo, y compris peut-être de la marche, mais au fond c'est un effet rebond, dans le sens où ça s'emballe, le plus amène à du plus. Mais c'est positif parce qu'au fond, l'impact environnemental, si c'est du vélo pas électrique, une fois que j'ai fait l'investissement, il va être nôtre que je fasse plus de trajet. d'intuition je vais avoir l'impression que quelque chose qui grandit à l'infini avec des ressources de base qu'on engage de moins en moins Intuitivement, je pense que ça va forcément avoir des impacts pas top parce que ça me fait penser à le fait de puiser dans les ressources comme si elles étaient limitées. Ce côté un peu exponentiel, ça peut faire un peu peur, mais ça dépend complètement du contexte. Je ne peux pas te faire une réponse qui serait vraie dans tous les cas. si on arrive à créer une solution, un produit qui fait que les gens vont avoir des comportements super vertueux, très facilement, puis ça va être très contagieux et tout. Je ne sais pas si on pourrait appeler ça de l'effet rebond, il faudrait avoir un exemple concret, mais disons qu'il pourrait y avoir peut-être des cas, ou alors à une certaine échelle, dans un certain contexte. Mais je ne peux pas faire de réponse générique.

Terry: Mais je trouve ça très, très, très clair. Ce que je trouve intéressant dans ce que tu dis, ça permet aussi de remettre un peu l'importance aussi de chaque individu dans les organisations, d'être très critique et d'exercer sa pensée critique et pas juste se laisser happer sur le premier message marketing et d'aller au-delà de ça sans être non plus, sans devenir non plus un non à tout, justement, parce que comme tu le dis, en fait, t'as pas de réponse générique. Donc je trouve ça aussi intéressant ce que tu dis.

Laetitia: Par exemple, en entreprise à impact positif, alors faudra le mettre dans les commentaires parce que je ne me souviens absolument plus évidemment du nom de l'entreprise. Mais à une conférence récemment, j'avais vu un chef d'entreprise parler de de sa boîte qui est de la base de données, qui offre, je ne sais plus s'il offre seulement du stockage ou aussi de la puissance de calcul, enfin bon, peu importe. Et en fait, voilà, il disait, moi, tous nos clients, déjà, le premier geste qu'on fait pour réduire notre impact, c'est que en fait, on leur fait comprendre qu'ils ont besoin de moins que ce qu'ils pensent à l'origine. Et je lui avais demandé, mais comment tu fais en tant que chef d'entreprise pour, en fait, quand tu as des clients qui viennent avec des besoins, leur réduire leurs besoins, ça veut dire que tu fais de la perte. Et il disait, oui, par client, oui, mais j'ai de plus en plus de clients. Il est dans une énorme croissance, mais dans une croissance qui n'est pas une croissance du besoin, etc. Il est dans une croissance de part de marché. et il est tellement petit par rapport au marché que si tu veux, pour l'instant, donc là, tu vois, dans son cas, par exemple, ça pourrait avoir du sens. Après, moi, je pense que c'est bien aussi d'employer des gens et de leur verser un salaire et tout ça. Ça me permet de faire aussi notre petite parenthèse. En fait, il y a un chercheur qui m'avait dit, ouais, une des façons qu'il y a le moins d'impact de dépenser son argent, c'est de fumer des cigarettes. Alors, dommage, j'ai arrêté de fumer, moi. Parce qu'en fait, il disait, c'est tellement cher, les cigarettes, que l'impact carbone... Alors, il ne parlait que du point de vue de l'impact du carbone, ce qui est très réducteur à la tension. C'était de la provoque qu'il faisait en disant ça. Mais en fait, si j'économise de l'argent quelque part, qu'est-ce que je fais de cet argent ? En fait, il y a quand même un truc qui énerve de la guerre, qui est l'argent, et donc un des effets rebonds de la seconde main et de Vinted, c'est les articles sont moins chers, donc j'en achète plus. Ou alors cet argent-là, ça c'est vraiment l'effet rebond de base, c'est l'effet rebond direct économique. Puisque c'est moins cher, j'en achète plus. ou économique indirecte, j'achète d'autres choses ailleurs. Je vais carrément prendre des billes d'avion à la place d'acheter des vêtements. Donc moi je trouve qu'en fait au fond si on renverse le truc, faire dépenser de l'argent à des gens sur des choses peu carbonées. En fait, c'est vachement cool. Quand on parlait de cette gymnastique de penser aux effets rebonds et après de le penser d'un point de vue positif. Je pense à un ami qui est metteur en scène. Lui, il fait dépenser aux gens leur argent pour aller voir du théâtre qui est assez peu carboné. Et en fait, c'est vachement positif. Voilà, c'était juste aussi pour préciser sur le gros scale-up. Je me dis bon, OK, mais au fond, je pense que si vraiment on veut atteindre un futur désirable pour tout le monde, je pense qu'il n'y a pas de truc magique où on fait de la croissance.

Terry: Ouais, intéressant, mais du coup, merci pour le détail. Je trouve intéressant globalement, de toute façon, l'aspect vraiment de garder son esprit critique, que chacun garde son esprit critique avec cette prise de conscience. Et je pense que de toute façon, comme tu l'as dit, il n'y a pas de réponse non plus miracle. Il n'y a pas de réponse absolue. En général, c'est très dangereux quand tout le monde dit oui. En général, il faut se dire il y a un problème. parce que justement, c'est par la confrontation, la pensée critique qu'on arrive à faire les choses au mieux. Pour moi, le message en tout cas que je retiens aussi, c'est ça, c'est de réussir à garder cet état d'esprit-là. J'invite les personnes qui sont intéressées par le sujet, entreprises ou individus, à te contacter. Je ne sais pas si LinkedIn, c'est le meilleur endroit.

Laetitia: Oui, LinkedIn, c'est parfait.

Terry: Ok, top. Donc je mettrai ça dans... De toute façon, il y aura ton nom sur l'épisode. Et pour aller vers les deux dernières questions de l'échange. La première, c'est est-ce que tu as une conviction forte avec laquelle tu te trouves en général en désaccord avec tes pairs ?

Laetitia: Oui, alors on est touché un petit peu avec tes dernières questions. Je ne vais pas me faire d'amis doublement en disant ça, mais moi je trouve que le système de la recherche est problématique parce qu'on demande aux chercheurs de publier toujours plus en fait. Il y a une logique de croissance dans le système de la recherche. qui est inhérente au système de la recherche et qui est contradictoire avec nos objectifs de respecter les limites planétaires et de survivre en tant qu'espèce. Donc je trouve que, d'une part, il y a ce côté croissance et on finit par écrire plein de papiers qui seront peut-être rarement lus pour certains, au lieu de se limiter à quelques papiers de qualité. Mais aussi le fonctionnement parce que ça fonctionne par des financements et ces financements aujourd'hui c'est tout ce qui est IA, intelligence artificielle ou machine learning plus ce qu'il y avait avant égale un nouveau sujet de recherche. Et ça m'embête beaucoup parce que En parlant d'effets rebonds, enfin les effets rebonds de l'IA, ils vont être terribles quoi. Et j'entends encore des gens autour de moi qui disent oui, mais l'IA va permettre quand même sûrement de faire des optimisations qui vont nous permettre de faire des gains sur les effets directs de choses, oui. Mais en fait, tant qu'on ne régule pas la façon dont on utilise les nouvelles technologies, Les effets rebonds de l'IA sont gigantesques, énormes, on les voit déjà. Si je fais une tâche en dix fois moins de temps qu'avant, dans mon travail, est-ce que je vais passer 90% de mon temps à me détendre ? Non. On va me demander de faire dix fois plus. Donc en fait, il y a un effet rebond temporel, par exemple. Les effets rebonds de l'IA sont énormes à venir. Et ça m'énerve un peu que dans... Bon, il y a l'industrie, d'accord, mais dans le monde de la recherche où on pourrait orienter nos efforts vers un futur désirable, un futur qui respecte les limites planétaires, le fait qu'on s'emballe comme ça sur l'IA de manière assez... Il réfléchit, pas pour tout le monde évidemment, mais ça m'énerve un petit peu.

Terry: Intéressant, je ne savais pas du coup que dans le monde de la recherche aussi, c'était un sujet sur lequel tout le monde s'emballait, mais c'est vrai que du coup, c'est intéressant de se dire, ça pose des questions en tout cas. Moi, je fais partie de ceux qui s'emballent dans le monde de l'industrie, à tort, je ne sais pas, mais en tout cas, je fais partie de ceux qui pensent quand même qu'on a une rupture technologique avec ce qu'a réussi à sortir OpenAI et du coup, les choses qui s'entument. sans pour autant nier le fait qu'il y a des conséquences énormes parce qu'en réalité il y a des choses qu'on va faire qui vont coûter dix fois plus d'énergie mais en fait ce qui se passe c'est l'accessibilité de ces choses où avant c'était réservé aux techniques maintenant des gens qui ne sont pas techniques peuvent le faire mais ça a aussi des coûts matériels qui sont très importants. Mais je savais pas que dans la recherche aussi il y avait un emballement donc c'est assez intéressant de voir ça.

Laetitia: Je ne vais pas critiquer que dans l'industrie on s'y intéresse parce que ce que je me dis c'est quand est-ce qu'on va mettre en place des choses pour réguler, pour utiliser intelligemment à l'échelle toutes les techniques qu'on produit. Si on ne sait pas le faire, alors ne produisons pas de nouvelles technologies. C'est un peu radical, mais voilà. J'en veux pas aux gens dans l'industrie de s'emballer. C'est difficile de résister à utiliser même de l'IA. C'est tellement pratique. Même moi, la traduction d'EPUL, c'est sur du machine learning. C'est tellement pratique quand tu écris des articles en anglais. Bref.

Terry: Ah mais c'est hyper intéressant. Du coup, ma dernière question, c'est quelles sont les choses qui t'inspirent, qui te nourrissent toi intellectuellement si t'as des rocos là-dessus ?

Laetitia: La première rocco que je vais faire, je conseille des bouquins qui m'ont vachement inspirée ou m'inspirent. Pour celles et ceux qui sont intéressés par le design systémique, il y a un incontournable, c'est Thinking in Systems de Donnella Meadows. Elle fait partie de ceux qui ont fait le rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance dont j'ai parlé. Et en fait c'est une personne qui fait très bien le lien qui a vraiment les deux jambes dans... enfin pardon, elle fait la passerelle disons entre le soft system thinking et le hard system thinking dont je parlais. Elle est vraiment dans les deux, donc elle va vraiment décrire des choses sous forme de systèmes modélisés. Et elle va avoir aussi vraiment un côté soft system thinking assez poussé. Elle parle de différentes catégories de levier aussi pour agir sur les comportements des systèmes. Entre changer des petites bricoles, je dirais sur Vinted, filtrées par la distance et empêcher que les gens achètent des choses à 700 km ou plus. qui sont des choses très faciles à mettre en place, très court-termistes, à combiner avec des leviers qui sont plus des changements de paradigme. Dans le cas de Vinted, est-ce que je permettrais aux gens plutôt d'échanger leurs vêtements plutôt que de les vendre et d'avoir de l'argent en contrepartie ? Elle est vraiment une incontournable. Après, Ayant conseillé quelque chose qui parle de modèle, je conseillerais un bouquin que je suis en train de lire en ce moment qui s'appelle « Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équation » et qui justement, pour ce que j'en ai lu pour l'instant, j'en suis à peu près à la moitié. tout le début explique comment fonctionne la science et permet d'avoir un regard critique par rapport à la science qu'on a souvent pas assez aujourd'hui et par rapport au modèle. Moi je pense que l'incontournable c'est de comprendre les modèles, mais surtout d'avoir un regard critique pour savoir comment les utiliser. Et enfin, en troisième, ça va dépendre de si vous voulez une ressource anglophone ou francophone. Anglophone, il y a « Design Journeys through Complex Systems » de Peter Jones, qui est une espèce de boîte à outils de design systémique. Et on a une autre boîte à outils en français qui est par Sylvie Domal et qui s'appelle 58 outils de design systémique.

Terry: Merci pour cet échange Laetitia et puis à bientôt.

Laetitia: Merci à toi, c'était un plaisir.

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